Mathématice

Jihan Hanna Barakat Personne ressource- comme de TripoliMATHÉMATICE1

Une révolution dans nos écoles: il s’agit des Technologies de l’Information et de la Communication dans l’Enseignement (TICE). Ces technologies, dont la démocratisation ne remonte pas à plus d’une quinzaine d’années, pourraient trouver de nombreuses applications pédagogiques intéressantes dans les lycées et notamment dans l’enseignement des mathématiques. Or, depuis son apprition, l’école a été continuellement confrontée à l’intégration de nouvelles technologies. Ces évolutions ont chaque fois suscité passions et résistances parmi les acteurs scolaires. Guir (2002) cite l’exemple des tableaux noirs qui ont mis 20 ans à être utilisés dans les classes ! Tardif (1998) quant à lui évoque l’intégration de l’audiovisuel ou de la calculatrice en déplorant l’utilisation limitée qui en est faite par les enseignants. Ces deux exemples illustrent à quel point la constante anthropologique de l’appréhension du changement reste vraie, y compris dans le domaine de l’éducation. La raison en est simple: à chaque fois que l’école procède à un changement, les opportunités  d’apprentissage de la part des apprenants sont difficiles à apprécier. Toute évaluation est d’autant plus ardue que la nature du changement est importante ou que ses répercussions sur le devenir socioculturel des élèves sont éloignés et abscons2(2). Pourtant, on pourrait penser que la définition d’indicateurs de mesure relatifs à la performance des élèves serait efficace pour déduire la pertinence des changements pédagogiques. Mais c’est précisément dans le choix de ces indicateurs de performance que réside toute la difficulté. Comment définir des indicateurs fiables et solides dans le temps ? Cette interrogation est d’autant plus légitime que l’utilisation des TICE pourrait avoir des répercussions notoires tant d’un point de vue pédagogique que social à long terme.

 

Pourquoi enseigner les mathématiques avec les TICE ?

Enjeux

Avant d’entrer dans le détail sur les conséquences que peut avoir l’utilisation des TICE au niveau pédagogique, il convient de rappeler très succinctement l’origine de ces technologies et leurs principaux enjeux. L’un des faits marquants de la seconde moitié du XXème siècle a été l’avènement des calculateurs électroniques. Ces derniers ont évolué dans deux directions: celle des supercalculateurs et celle des ordinateurs personnels. Les supercalculateurs ont révolutionné l’ensemble des sciences et techniques en offrant de nouvelles possibilités de calcul et de simulation. Les mathématiques n’ont pas fait exception: elles ont été profondément affectées par cette révolution (mathématiques appliquées, analyse numérique, logique, etc.), à tel point que l’informatique (contraction de « information » et « automatique ») et les mathématiques sont devenues deux sciences interdépendantes: l’une contribuant au développement de l’autre. De leur côté, les ordinateurs personnels occupent une place grandissante parmi les principaux supports d’information utilisés par le grand public (communication, support médiatique, traitement et archivage de données, etc.). Les influences sur notre société sont considérables, au point d’affecter le devenir socio-professionnel des individus. L’accès à un média libre et ouvert, la création de nouveaux types d’emploi, la destruction d’anciens métiers, la création d’une « net economy », l’évolution des « business models » de nombreuses entreprises, illustrent l’ampleur de cette influence sur la récente évolution des économies et des sociétés des pays occidentaux (pays pionniers dans le développement et l’utilisation des TICE). Dans ce contexte, il devient crucial d’initier nos élèves/futurs mathématiciens aux TICE. D’autre part, si nous nous limitons au point de vue strictement pédagogique, il est évident que les supports interactifs offrent de nouvelles possibilités pour dispenser les enseignements. C’est ce que nous allons voir ci-après avec l’exemple d’un logiciel spécialisé dans l’apprentissage des mathématiques.

Bénéfices (exemple sur la base d’un logiciel)

Afin d’offrir un aperçu des possibilités offertes par les TICE en matière de pédagogie des mathématiques, nous allons examiner l’exemple du logiciel Cabri-Géomètre. Cabri (pour « cahier de brouillon interactif ») est un logiciel développé depuis 1986 par une équipe de chercheurs de l’Université Joseph Fourier (UJF), du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et de Cabrilog. Ce produit est destiné à l’apprentissage de la géométrie. Selon Clarou et  Al, (2001) « Il s’agit d’un micro-monde qui permet la construction et l’exploration de dessins géométriques favorisant l’élaboration par l’élève de connaissances relatives aux objets mathématiques matérialisés par ces dessins ». Concrètement, le logiciel est une interface graphique qui permet de créer des dessins sur la base de propriétés géométriques. La force de l’utilisation de ce type d’outils pédagogiques est que l’élève se trouve contraint à employer les propriétés géométriques pour la réalisation de ses travaux. Cet environnement le prive de l’utilisation d’outils non mathématiques comme les carreaux du papier ou la perception personnelle. A titre d’exemple: le carré signifiera pour lui des droites perpendiculaires et des côtés égaux; c’est-à-dire le spatio-graphique commencera à devenir géométrique. Et pour dire qu’un objet géométrique est un carré, l’élève sera plus censé passer par des propriétés mathématiques et il commencera à prendre conscience que la perception seule ne suffit pas dans les mathématiques. En conséquence, l’utilisation de ce type de logiciel incite l’élève à faire un effort supplémentaire de conceptualisation des hypothèses pour pouvoir les exploiter et proposer une solution. Les objets mathématiques ainsi créés sont interactifs, donc manipulables. Cela permet à l’élève de faire des recherches afin de mettre en évidence des propriétés géométriques qu’il n’aurait pas remarquées lors de l’élaboration d’une figure (comme par exemple: la perpendicularité de diagonales sécantes en leurs milieux dans le cas du carré). De plus, des outils de vérification viennent en aide pour la découverte de l’ensemble des propriétés d’une figure. Enfin, le travail deréalisation est facilité par l’interface. Cette dernière, simple d’utilisation, permet de produire des tracés précis dans un minimum de temps.

Sur la base de cet exemple, on constate que l’utilisation de logiciels affecte notoirement l’approche pédagogique de l’enseignement des mathématiques. L’enseignement est davantage orienté sur la conceptualisation, la modélisation,l’interprétation des résultats et la maîtrise de la machine que sur des travaux calculatoires. Les TICE sont utilisées pour la construction d’algorithmes, la pratique de tests et l’analyse des résultats et des dysfonctionnements. Elles permettent autant d’approches nouvelles qui vont susciter la formation intellectuelle de nos élèves.

Par l’utilisation des TICE, nos élèves passent du statut d’assimilateurs de savoirs pré- structurés par un enseignant au statut de créateurs.

Conséquences des TICE

Cabri n’est qu’un exemple parmi les innombrables logiciels disponibles sur le marché. Les ouvertures pédagogiques apportées par l’outil informatique sont nombreuses et iront croissantes. L’offre étant sans cesse renouvelée, tant au niveau immatériel (avec des logiciels toujours plus complexes et aboutis) qu’au niveau matériel (avec des interfaces homme/machine toujours plus performantes), on pourrait alors penser que ces nouvelles opportunités pédagogiques sont potentiellement efficaces, simples d’utilisation et aux limites très lointaines. Or, s’arrêter à ces considérations serait faire l’impasse sur les nombreuses difficultés que peut générer l’implantation des TICE dans nos écoles. Ces difficultés sont de deux ordres: matériel et humain.

Impacts d’ordre matériel

Lorsque l’on pense à un projet d’implantation des TICE, la première contrainte de taille qui vient à l’esprit est celle du coût matériel. En effet, les TICE sont susceptibles de requérir de coûteuses installations pour lesquelles il faut prévoir un amortissement, de la maintenance, des mises à jour, des coûts de fonctionnement ainsi que des formations. Se pose donc la question de la légitimité de l’allocation d’importantes ressources pour une telle entreprise, alors qu’une proportion non négligeable de nos écoles est en manque d’équipement plus « rudimentaire ». A ce niveau, il ne s’agit plus de pédagogie: il faut trouver la solution qui permettra le meilleur retour sur investissement pour les générations futures, ce qui est du ressort des décideurs politiques.

Impacts d’ordre immatériel, évolutions de la profession d’enseignant induites par les TICE

La seconde contrainte majeure liée à l’implantation des TICE est davantage d’ordre relationnel et humain. Pour évaluer ce type de difficulté, il est nécessaire de passer par une description concise du processus d’enseignement et du rôle de l’enseignant.

Restreint au périmètre de la classe, l’enseignement traditionnel se résume en un échange de « savoir » entre « l’enseignant » et « les élèves ». Cette conceptualisation a conduit à schématiser l’enseignement par un triangle (appelé « triangle didactique ») dont les sommets sont occupés par chacune des trois composantes énoncées ci-avant. Les côtés sont utilisés pour qualifier les interactions entre ces trois composantes. On y retrouve notamment le processus essentiel de l’enseignement qui est le transfert des connaissances vers l’étudiant (relation entre le savoir et l’élève). Pour que ce transfert de connaissances soit efficace, l’enseignant interagit avec l’élève (processus pédagogique), mais également avec le savoir (processus didactique).

Pour comprendre l’importance de ces deux derniers processus dans l’enseignement, on peut imaginer la situation d’un enseignant qui n’aurait recours ni aux processus pédagogiques, ni aux processus didactiques. Dans ce nouveau modèle, l’enseignant, en prenant la parole pour présenter des connaissances et des concepts, occuperait le centre d’attention d’une classe qui suit. Se limiter à cette vision simplifiée reviendrait à comparer l’enseignant à un conférencier qui émet des informations à l’intention d’une audience qui les reçoit. La réalité est différente. Bien que l’exposé des connaissances constitue une partie essentielle de l’enseignement, le périmètre de la mission de l’enseignant dépasse le simple transfert d’informations. En effet, l’enseignant a l’autorité d’organiser les apprentissages, de distribuer des tâches et de juger/évaluer les démarches intellectuelles des élèves: ce sont les processus didactiques. Il a également la capacité de valoriser les talents de ses élèves et d’identifier leurs difficultés pour les aider à les surmonter. La conjugaison de ces facultés doit permettre à l’enseignant de faire progresser ses élèves dans la ou les disciplines dont il est responsable tout en veillant à ce qu’ils acquièrent le sens de leurs responsabilités (élaboration d’un projet professionnel, prise de conscience des devoirs envers la société,etc.):ce sont les processus pédagogiques. Enfin, l’enseignant doit pouvoir s’adapter à la diversité et au changement annuel de son audience. Ce simple descriptif de la fonction d’enseignant met en évidence la complexité de cette mission tant au niveau de la diversité des objectifs qu’au niveau de la relation enseignant enseignés. Il n’est donc pas surprenant que de laborieuses années soient nécessaires aux enseignants afin qu’ils parviennent à optimiser les nombreux paramètres de leur « équation pédagogique »

Au regard de la mission de l’enseignant commedécrite ci-avant, l’intégration des TICE dans l’enseignement peut être perçue comme ub béritable séisme. Avec les TICE, l’enseignant n’a plus nécessairement à prendre autant la parole, ni à concentrer l’attention de l’audience sur ce qu’il dit ou écrit au tableau. Mais, plus qu’à l’égard de la forme, c’est à l’égard de la perception de la relation enseignant-enseigné que le changement est abrupt. Car, pour les étudiants, l’enseignant n’est plus perçu comme l’interface principale entre lui et l’information à traiter, il n’est plus celui qui organise les tâches et les distribue et, surtout, il n’est plus celui qui juge directement si la démarche intellectuelle est adéquate ou non. Aux yeux de l’élève: l’enseignant passe du statut de « Maître » à celui «d’Accompagnateur ». Alors, doit-on en déduire que les TICE génèrent une dégradation de l’image de la profession d’enseignant ? Non, car l’enseignant conserve l’intégralité de ses responsabilités pédagogiques (en garantissant le progrès des élèves dans la ou les disciplines dont il a la charge), didactiques (en conservant une approche épistémologique au regard du contenu du cours et de l’utilisation des TICE) et sociales (en éduquant les élèves en vue de leur insertion socioprofessionnelle). En conséquence, les objectifs de sa mission restent inchangés. Par contre, la relation entre enseignant-élèves, les processus de transmission du savoir et les processus didactiques se trouvent profondément affectés par l’insertion des nouveaux médias interactifs que sont les TICE. Le schéma traditionnel du triangle didactique est suranné. Ce sont donc les méthodologies qui sont à redévelopper, les variables de « l’équation pédagogique » qui sont à réajuster… Ce qui correspond à un important travail d’adaptation de la part de l’enseignant.

Réaction des enseignants face aux TICE (expérience sur le terrain)

Sur la base de mon expérience en tant que formatrice, j’ai eu l’opportunité d’observer un large spectre de réactions de la part des enseignants  de mathématiques. Il est intéressant de constater qu’une large majorité des enseignants qui on suivi une formation en TICE s’est montrée enthousiaste devant les perspectives de modernisation de l’enseignement par les TICE. Cette catégorie d’enseignants est majoritairement restée lucide, car, bien que son intérêt pour la méthode fût prononcé, elle a reconnu les difficultés qui y étaient associées (une proportion significative doutant de la possibilité de mise en application de la méthode). La minorité restante a été indifférente, voire réfractaire. Parmi cette dernière catégorie, j’ai identifié trois principaux courants d’esprit : les sceptiques (qui doutent du réalisme des projets ou des nouvelles méthodes de travail), les opposants (qui sont contre ce type de projet pédagogique ou contre l’affectation de ressources à ce type de projet) et les anxieux (redoutant l’abandon des méthodes de travail éprouvées depuis parfois de nombreuses années, les charges supplémentaires de travail, ou craignant le manque de formation). La plupart de ces profils comportementaux trouvent leur origine dans l’importance du changement dont nous avons donné les grandes lignes ci-avant.

Préconisations

Parmi les enseignants, il apparaît de manière évidente que certains ont de bonnes prédispositions  à l’intégration de l’outil informatique dans leur métier. C’est le cas des jeunes et des futurs enseignants pour qui la maîtrise des bases des TICE est en général acquise. En conséquence, leur application à l’enseignement est généralement aisée. Il n’en va pas de même pour leurs confrères plus âgés. Face aux TICE, cette seconde catégorie d’enseignants se retrouve doublement pénalisée: premièrement, de par son manque de formation et, deuxièmement, de par la nouveauté de l’approche pédagogique en rupture avec les standards acquis avec l’expérience. En effet, si l’expérience est un atout pour l’efficacité de la transmission des savoirs et l’adaptation aux changements mineurs, elle peut se révéler être un frein dans les situations de changements majeurs. Mais quel que soit le niveau de maîtrise des TICE ou l’âge des enseignants, c’est leur motivation qui reste le facteur déterminant du succès ou de l’échec de leur évolution en terme de compétence sur ces nouveaux outils.

Face à l’importance du changement, certains enseignants, à juste titre, sont susceptibles d’avoir de fortes appréhensions, voire de générer des résistances au regard de l’intégration des TICE. Or, au niveau individuel, une bonne adaptation face au changement tient d’une part, et essentiellement, à la réalité de la situation, mais également à l’approche personnelle: la politique éducative dolt être cohérente avec les ressources et chaque enseignant doit être convaincu du bien-fondé de la démarche qu’il entreprend. Afin qu’un maximum d’enseignants soit motivé pour relever un tel défi, et pour que la mise en place des TICE soit un succès partagé par le plus grand nombre (les élèves en premier lieu), la stratégie à adopter est celle qui consiste à soutenir les enseignants dans le cadre d’un programme réaliste. Pour être efficace, ce soutien dolt être composé de formations techniques et pédagogiques. Sur le plan de la formation technique, un objectif raisonnable peut être fixé à «l’autonomie de l’enseignant»: niveau généralement rapidement atteint et suffisant pour que ce dernier se sente en confiance. Cette formation doit idéalement précéder la mise en situation. En revanche, sur le plan pédagogique (partie du changement la plus sensible à gérer pour les enseignants), une formation continue, de faible volume horaire, serait nécessaire pour gérer sereinement le bouleversement de la relation enseignant-enseigné. Le programme de cette formation serait essentiellement basé sur les techniques de communication et le retour sur expérience. Par ailleurs, il est possible de tirer parti de l’hétérogénéité de la population en accentuant l’effort de formation à court terme sur les enseignants en début de carrière. Cela permettrait l’obtention rapide de résultats encourageants. Une fois formés, ces derniers seraient les meilleurs promoteurs du changement et contribueraient certainement à l’amélioration des performances de leurs aînés sur le long terme. Mais, quelle que soit la politique d’enseignement retenue, la stratégie dolt être établie sur la base de l’intérêt des étudiants pour leur avenir.

Conclusion

Outre les nouvelles opportunités d’un point de vue pédagogique, les technologies de l’information et de la communication sont une révolution marquante aussi bien pour les sciences et techniques que pour la société en général. Pour ces raisons, l’introduction des TICE dans l’enseignement est pertinente. Nos élèves, futurs ingénieurs, futurs scientifiques ou plus généralement futurs membres de la population active, peuvent tirer profit de ces technologies et ne doivent pas être en marge de cette évolution. Cependant, la mise à disposition des TICE pour l’enseignement des mathématiques dans nos écoles est un projet dont la mise en place requiert d’importantes ressources. Il s’agit bien d’un choix dont la société doit être le décideur. D’autre part, l’implantation des TICE dans une organisation est une cause systématique de changements majeurs aussi bien entre les personnes (ordre social) que dans l’accomplissement des tâches (ordre professionnel). Ceci est vrai aussi bien pour l’école que pour n’importe quelles entreprises ou structures gouvernementales. Dans le cas des écoles, la complexité du changement se situe principalement au niveau du triplet enseignant, enseigné et savoir. Avec l’introduction des TICE dans la salle de classe, les représentations classiques des interactions entre les pôles de ce triplet ne sont plus valides. Par conséquent, les enseignants, quel que soit leur niveau de maîtrise des TICE, sont amenés à repenser leurs démarches pédagogiques et didactiques. Ce changement pour la profession est tel qu’il peut difficilement s’envisager sans une formation d’accompagnement.

Toutefois, ces difficultés sont surmontables. Le succès d’un tel projet serait de permettre à nos élèves d’apprendre les mathématiques par le biais d’une approche pédagogique qui privilégie la conceptualisation par rapport à l’approche calculatoire. Une bonne maîtrise de la machine facilite la réalisation de travaux et stimule la créativité. C’est en créant que l’on apprend !

 

Mathématice

Jihan Hanna Barakat Personne ressource- comme de TripoliMATHÉMATICE1

Une révolution dans nos écoles: il s’agit des Technologies de l’Information et de la Communication dans l’Enseignement (TICE). Ces technologies, dont la démocratisation ne remonte pas à plus d’une quinzaine d’années, pourraient trouver de nombreuses applications pédagogiques intéressantes dans les lycées et notamment dans l’enseignement des mathématiques. Or, depuis son apprition, l’école a été continuellement confrontée à l’intégration de nouvelles technologies. Ces évolutions ont chaque fois suscité passions et résistances parmi les acteurs scolaires. Guir (2002) cite l’exemple des tableaux noirs qui ont mis 20 ans à être utilisés dans les classes ! Tardif (1998) quant à lui évoque l’intégration de l’audiovisuel ou de la calculatrice en déplorant l’utilisation limitée qui en est faite par les enseignants. Ces deux exemples illustrent à quel point la constante anthropologique de l’appréhension du changement reste vraie, y compris dans le domaine de l’éducation. La raison en est simple: à chaque fois que l’école procède à un changement, les opportunités  d’apprentissage de la part des apprenants sont difficiles à apprécier. Toute évaluation est d’autant plus ardue que la nature du changement est importante ou que ses répercussions sur le devenir socioculturel des élèves sont éloignés et abscons2(2). Pourtant, on pourrait penser que la définition d’indicateurs de mesure relatifs à la performance des élèves serait efficace pour déduire la pertinence des changements pédagogiques. Mais c’est précisément dans le choix de ces indicateurs de performance que réside toute la difficulté. Comment définir des indicateurs fiables et solides dans le temps ? Cette interrogation est d’autant plus légitime que l’utilisation des TICE pourrait avoir des répercussions notoires tant d’un point de vue pédagogique que social à long terme.

 

Pourquoi enseigner les mathématiques avec les TICE ?

Enjeux

Avant d’entrer dans le détail sur les conséquences que peut avoir l’utilisation des TICE au niveau pédagogique, il convient de rappeler très succinctement l’origine de ces technologies et leurs principaux enjeux. L’un des faits marquants de la seconde moitié du XXème siècle a été l’avènement des calculateurs électroniques. Ces derniers ont évolué dans deux directions: celle des supercalculateurs et celle des ordinateurs personnels. Les supercalculateurs ont révolutionné l’ensemble des sciences et techniques en offrant de nouvelles possibilités de calcul et de simulation. Les mathématiques n’ont pas fait exception: elles ont été profondément affectées par cette révolution (mathématiques appliquées, analyse numérique, logique, etc.), à tel point que l’informatique (contraction de « information » et « automatique ») et les mathématiques sont devenues deux sciences interdépendantes: l’une contribuant au développement de l’autre. De leur côté, les ordinateurs personnels occupent une place grandissante parmi les principaux supports d’information utilisés par le grand public (communication, support médiatique, traitement et archivage de données, etc.). Les influences sur notre société sont considérables, au point d’affecter le devenir socio-professionnel des individus. L’accès à un média libre et ouvert, la création de nouveaux types d’emploi, la destruction d’anciens métiers, la création d’une « net economy », l’évolution des « business models » de nombreuses entreprises, illustrent l’ampleur de cette influence sur la récente évolution des économies et des sociétés des pays occidentaux (pays pionniers dans le développement et l’utilisation des TICE). Dans ce contexte, il devient crucial d’initier nos élèves/futurs mathématiciens aux TICE. D’autre part, si nous nous limitons au point de vue strictement pédagogique, il est évident que les supports interactifs offrent de nouvelles possibilités pour dispenser les enseignements. C’est ce que nous allons voir ci-après avec l’exemple d’un logiciel spécialisé dans l’apprentissage des mathématiques.

Bénéfices (exemple sur la base d’un logiciel)

Afin d’offrir un aperçu des possibilités offertes par les TICE en matière de pédagogie des mathématiques, nous allons examiner l’exemple du logiciel Cabri-Géomètre. Cabri (pour « cahier de brouillon interactif ») est un logiciel développé depuis 1986 par une équipe de chercheurs de l’Université Joseph Fourier (UJF), du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et de Cabrilog. Ce produit est destiné à l’apprentissage de la géométrie. Selon Clarou et  Al, (2001) « Il s’agit d’un micro-monde qui permet la construction et l’exploration de dessins géométriques favorisant l’élaboration par l’élève de connaissances relatives aux objets mathématiques matérialisés par ces dessins ». Concrètement, le logiciel est une interface graphique qui permet de créer des dessins sur la base de propriétés géométriques. La force de l’utilisation de ce type d’outils pédagogiques est que l’élève se trouve contraint à employer les propriétés géométriques pour la réalisation de ses travaux. Cet environnement le prive de l’utilisation d’outils non mathématiques comme les carreaux du papier ou la perception personnelle. A titre d’exemple: le carré signifiera pour lui des droites perpendiculaires et des côtés égaux; c’est-à-dire le spatio-graphique commencera à devenir géométrique. Et pour dire qu’un objet géométrique est un carré, l’élève sera plus censé passer par des propriétés mathématiques et il commencera à prendre conscience que la perception seule ne suffit pas dans les mathématiques. En conséquence, l’utilisation de ce type de logiciel incite l’élève à faire un effort supplémentaire de conceptualisation des hypothèses pour pouvoir les exploiter et proposer une solution. Les objets mathématiques ainsi créés sont interactifs, donc manipulables. Cela permet à l’élève de faire des recherches afin de mettre en évidence des propriétés géométriques qu’il n’aurait pas remarquées lors de l’élaboration d’une figure (comme par exemple: la perpendicularité de diagonales sécantes en leurs milieux dans le cas du carré). De plus, des outils de vérification viennent en aide pour la découverte de l’ensemble des propriétés d’une figure. Enfin, le travail deréalisation est facilité par l’interface. Cette dernière, simple d’utilisation, permet de produire des tracés précis dans un minimum de temps.

Sur la base de cet exemple, on constate que l’utilisation de logiciels affecte notoirement l’approche pédagogique de l’enseignement des mathématiques. L’enseignement est davantage orienté sur la conceptualisation, la modélisation,l’interprétation des résultats et la maîtrise de la machine que sur des travaux calculatoires. Les TICE sont utilisées pour la construction d’algorithmes, la pratique de tests et l’analyse des résultats et des dysfonctionnements. Elles permettent autant d’approches nouvelles qui vont susciter la formation intellectuelle de nos élèves.

Par l’utilisation des TICE, nos élèves passent du statut d’assimilateurs de savoirs pré- structurés par un enseignant au statut de créateurs.

Conséquences des TICE

Cabri n’est qu’un exemple parmi les innombrables logiciels disponibles sur le marché. Les ouvertures pédagogiques apportées par l’outil informatique sont nombreuses et iront croissantes. L’offre étant sans cesse renouvelée, tant au niveau immatériel (avec des logiciels toujours plus complexes et aboutis) qu’au niveau matériel (avec des interfaces homme/machine toujours plus performantes), on pourrait alors penser que ces nouvelles opportunités pédagogiques sont potentiellement efficaces, simples d’utilisation et aux limites très lointaines. Or, s’arrêter à ces considérations serait faire l’impasse sur les nombreuses difficultés que peut générer l’implantation des TICE dans nos écoles. Ces difficultés sont de deux ordres: matériel et humain.

Impacts d’ordre matériel

Lorsque l’on pense à un projet d’implantation des TICE, la première contrainte de taille qui vient à l’esprit est celle du coût matériel. En effet, les TICE sont susceptibles de requérir de coûteuses installations pour lesquelles il faut prévoir un amortissement, de la maintenance, des mises à jour, des coûts de fonctionnement ainsi que des formations. Se pose donc la question de la légitimité de l’allocation d’importantes ressources pour une telle entreprise, alors qu’une proportion non négligeable de nos écoles est en manque d’équipement plus « rudimentaire ». A ce niveau, il ne s’agit plus de pédagogie: il faut trouver la solution qui permettra le meilleur retour sur investissement pour les générations futures, ce qui est du ressort des décideurs politiques.

Impacts d’ordre immatériel, évolutions de la profession d’enseignant induites par les TICE

La seconde contrainte majeure liée à l’implantation des TICE est davantage d’ordre relationnel et humain. Pour évaluer ce type de difficulté, il est nécessaire de passer par une description concise du processus d’enseignement et du rôle de l’enseignant.

Restreint au périmètre de la classe, l’enseignement traditionnel se résume en un échange de « savoir » entre « l’enseignant » et « les élèves ». Cette conceptualisation a conduit à schématiser l’enseignement par un triangle (appelé « triangle didactique ») dont les sommets sont occupés par chacune des trois composantes énoncées ci-avant. Les côtés sont utilisés pour qualifier les interactions entre ces trois composantes. On y retrouve notamment le processus essentiel de l’enseignement qui est le transfert des connaissances vers l’étudiant (relation entre le savoir et l’élève). Pour que ce transfert de connaissances soit efficace, l’enseignant interagit avec l’élève (processus pédagogique), mais également avec le savoir (processus didactique).

Pour comprendre l’importance de ces deux derniers processus dans l’enseignement, on peut imaginer la situation d’un enseignant qui n’aurait recours ni aux processus pédagogiques, ni aux processus didactiques. Dans ce nouveau modèle, l’enseignant, en prenant la parole pour présenter des connaissances et des concepts, occuperait le centre d’attention d’une classe qui suit. Se limiter à cette vision simplifiée reviendrait à comparer l’enseignant à un conférencier qui émet des informations à l’intention d’une audience qui les reçoit. La réalité est différente. Bien que l’exposé des connaissances constitue une partie essentielle de l’enseignement, le périmètre de la mission de l’enseignant dépasse le simple transfert d’informations. En effet, l’enseignant a l’autorité d’organiser les apprentissages, de distribuer des tâches et de juger/évaluer les démarches intellectuelles des élèves: ce sont les processus didactiques. Il a également la capacité de valoriser les talents de ses élèves et d’identifier leurs difficultés pour les aider à les surmonter. La conjugaison de ces facultés doit permettre à l’enseignant de faire progresser ses élèves dans la ou les disciplines dont il est responsable tout en veillant à ce qu’ils acquièrent le sens de leurs responsabilités (élaboration d’un projet professionnel, prise de conscience des devoirs envers la société,etc.):ce sont les processus pédagogiques. Enfin, l’enseignant doit pouvoir s’adapter à la diversité et au changement annuel de son audience. Ce simple descriptif de la fonction d’enseignant met en évidence la complexité de cette mission tant au niveau de la diversité des objectifs qu’au niveau de la relation enseignant enseignés. Il n’est donc pas surprenant que de laborieuses années soient nécessaires aux enseignants afin qu’ils parviennent à optimiser les nombreux paramètres de leur « équation pédagogique »

Au regard de la mission de l’enseignant commedécrite ci-avant, l’intégration des TICE dans l’enseignement peut être perçue comme ub béritable séisme. Avec les TICE, l’enseignant n’a plus nécessairement à prendre autant la parole, ni à concentrer l’attention de l’audience sur ce qu’il dit ou écrit au tableau. Mais, plus qu’à l’égard de la forme, c’est à l’égard de la perception de la relation enseignant-enseigné que le changement est abrupt. Car, pour les étudiants, l’enseignant n’est plus perçu comme l’interface principale entre lui et l’information à traiter, il n’est plus celui qui organise les tâches et les distribue et, surtout, il n’est plus celui qui juge directement si la démarche intellectuelle est adéquate ou non. Aux yeux de l’élève: l’enseignant passe du statut de « Maître » à celui «d’Accompagnateur ». Alors, doit-on en déduire que les TICE génèrent une dégradation de l’image de la profession d’enseignant ? Non, car l’enseignant conserve l’intégralité de ses responsabilités pédagogiques (en garantissant le progrès des élèves dans la ou les disciplines dont il a la charge), didactiques (en conservant une approche épistémologique au regard du contenu du cours et de l’utilisation des TICE) et sociales (en éduquant les élèves en vue de leur insertion socioprofessionnelle). En conséquence, les objectifs de sa mission restent inchangés. Par contre, la relation entre enseignant-élèves, les processus de transmission du savoir et les processus didactiques se trouvent profondément affectés par l’insertion des nouveaux médias interactifs que sont les TICE. Le schéma traditionnel du triangle didactique est suranné. Ce sont donc les méthodologies qui sont à redévelopper, les variables de « l’équation pédagogique » qui sont à réajuster… Ce qui correspond à un important travail d’adaptation de la part de l’enseignant.

Réaction des enseignants face aux TICE (expérience sur le terrain)

Sur la base de mon expérience en tant que formatrice, j’ai eu l’opportunité d’observer un large spectre de réactions de la part des enseignants  de mathématiques. Il est intéressant de constater qu’une large majorité des enseignants qui on suivi une formation en TICE s’est montrée enthousiaste devant les perspectives de modernisation de l’enseignement par les TICE. Cette catégorie d’enseignants est majoritairement restée lucide, car, bien que son intérêt pour la méthode fût prononcé, elle a reconnu les difficultés qui y étaient associées (une proportion significative doutant de la possibilité de mise en application de la méthode). La minorité restante a été indifférente, voire réfractaire. Parmi cette dernière catégorie, j’ai identifié trois principaux courants d’esprit : les sceptiques (qui doutent du réalisme des projets ou des nouvelles méthodes de travail), les opposants (qui sont contre ce type de projet pédagogique ou contre l’affectation de ressources à ce type de projet) et les anxieux (redoutant l’abandon des méthodes de travail éprouvées depuis parfois de nombreuses années, les charges supplémentaires de travail, ou craignant le manque de formation). La plupart de ces profils comportementaux trouvent leur origine dans l’importance du changement dont nous avons donné les grandes lignes ci-avant.

Préconisations

Parmi les enseignants, il apparaît de manière évidente que certains ont de bonnes prédispositions  à l’intégration de l’outil informatique dans leur métier. C’est le cas des jeunes et des futurs enseignants pour qui la maîtrise des bases des TICE est en général acquise. En conséquence, leur application à l’enseignement est généralement aisée. Il n’en va pas de même pour leurs confrères plus âgés. Face aux TICE, cette seconde catégorie d’enseignants se retrouve doublement pénalisée: premièrement, de par son manque de formation et, deuxièmement, de par la nouveauté de l’approche pédagogique en rupture avec les standards acquis avec l’expérience. En effet, si l’expérience est un atout pour l’efficacité de la transmission des savoirs et l’adaptation aux changements mineurs, elle peut se révéler être un frein dans les situations de changements majeurs. Mais quel que soit le niveau de maîtrise des TICE ou l’âge des enseignants, c’est leur motivation qui reste le facteur déterminant du succès ou de l’échec de leur évolution en terme de compétence sur ces nouveaux outils.

Face à l’importance du changement, certains enseignants, à juste titre, sont susceptibles d’avoir de fortes appréhensions, voire de générer des résistances au regard de l’intégration des TICE. Or, au niveau individuel, une bonne adaptation face au changement tient d’une part, et essentiellement, à la réalité de la situation, mais également à l’approche personnelle: la politique éducative dolt être cohérente avec les ressources et chaque enseignant doit être convaincu du bien-fondé de la démarche qu’il entreprend. Afin qu’un maximum d’enseignants soit motivé pour relever un tel défi, et pour que la mise en place des TICE soit un succès partagé par le plus grand nombre (les élèves en premier lieu), la stratégie à adopter est celle qui consiste à soutenir les enseignants dans le cadre d’un programme réaliste. Pour être efficace, ce soutien dolt être composé de formations techniques et pédagogiques. Sur le plan de la formation technique, un objectif raisonnable peut être fixé à «l’autonomie de l’enseignant»: niveau généralement rapidement atteint et suffisant pour que ce dernier se sente en confiance. Cette formation doit idéalement précéder la mise en situation. En revanche, sur le plan pédagogique (partie du changement la plus sensible à gérer pour les enseignants), une formation continue, de faible volume horaire, serait nécessaire pour gérer sereinement le bouleversement de la relation enseignant-enseigné. Le programme de cette formation serait essentiellement basé sur les techniques de communication et le retour sur expérience. Par ailleurs, il est possible de tirer parti de l’hétérogénéité de la population en accentuant l’effort de formation à court terme sur les enseignants en début de carrière. Cela permettrait l’obtention rapide de résultats encourageants. Une fois formés, ces derniers seraient les meilleurs promoteurs du changement et contribueraient certainement à l’amélioration des performances de leurs aînés sur le long terme. Mais, quelle que soit la politique d’enseignement retenue, la stratégie dolt être établie sur la base de l’intérêt des étudiants pour leur avenir.

Conclusion

Outre les nouvelles opportunités d’un point de vue pédagogique, les technologies de l’information et de la communication sont une révolution marquante aussi bien pour les sciences et techniques que pour la société en général. Pour ces raisons, l’introduction des TICE dans l’enseignement est pertinente. Nos élèves, futurs ingénieurs, futurs scientifiques ou plus généralement futurs membres de la population active, peuvent tirer profit de ces technologies et ne doivent pas être en marge de cette évolution. Cependant, la mise à disposition des TICE pour l’enseignement des mathématiques dans nos écoles est un projet dont la mise en place requiert d’importantes ressources. Il s’agit bien d’un choix dont la société doit être le décideur. D’autre part, l’implantation des TICE dans une organisation est une cause systématique de changements majeurs aussi bien entre les personnes (ordre social) que dans l’accomplissement des tâches (ordre professionnel). Ceci est vrai aussi bien pour l’école que pour n’importe quelles entreprises ou structures gouvernementales. Dans le cas des écoles, la complexité du changement se situe principalement au niveau du triplet enseignant, enseigné et savoir. Avec l’introduction des TICE dans la salle de classe, les représentations classiques des interactions entre les pôles de ce triplet ne sont plus valides. Par conséquent, les enseignants, quel que soit leur niveau de maîtrise des TICE, sont amenés à repenser leurs démarches pédagogiques et didactiques. Ce changement pour la profession est tel qu’il peut difficilement s’envisager sans une formation d’accompagnement.

Toutefois, ces difficultés sont surmontables. Le succès d’un tel projet serait de permettre à nos élèves d’apprendre les mathématiques par le biais d’une approche pédagogique qui privilégie la conceptualisation par rapport à l’approche calculatoire. Une bonne maîtrise de la machine facilite la réalisation de travaux et stimule la créativité. C’est en créant que l’on apprend !

 

Mathématice

Jihan Hanna Barakat Personne ressource- comme de TripoliMATHÉMATICE1

Une révolution dans nos écoles: il s’agit des Technologies de l’Information et de la Communication dans l’Enseignement (TICE). Ces technologies, dont la démocratisation ne remonte pas à plus d’une quinzaine d’années, pourraient trouver de nombreuses applications pédagogiques intéressantes dans les lycées et notamment dans l’enseignement des mathématiques. Or, depuis son apprition, l’école a été continuellement confrontée à l’intégration de nouvelles technologies. Ces évolutions ont chaque fois suscité passions et résistances parmi les acteurs scolaires. Guir (2002) cite l’exemple des tableaux noirs qui ont mis 20 ans à être utilisés dans les classes ! Tardif (1998) quant à lui évoque l’intégration de l’audiovisuel ou de la calculatrice en déplorant l’utilisation limitée qui en est faite par les enseignants. Ces deux exemples illustrent à quel point la constante anthropologique de l’appréhension du changement reste vraie, y compris dans le domaine de l’éducation. La raison en est simple: à chaque fois que l’école procède à un changement, les opportunités  d’apprentissage de la part des apprenants sont difficiles à apprécier. Toute évaluation est d’autant plus ardue que la nature du changement est importante ou que ses répercussions sur le devenir socioculturel des élèves sont éloignés et abscons2(2). Pourtant, on pourrait penser que la définition d’indicateurs de mesure relatifs à la performance des élèves serait efficace pour déduire la pertinence des changements pédagogiques. Mais c’est précisément dans le choix de ces indicateurs de performance que réside toute la difficulté. Comment définir des indicateurs fiables et solides dans le temps ? Cette interrogation est d’autant plus légitime que l’utilisation des TICE pourrait avoir des répercussions notoires tant d’un point de vue pédagogique que social à long terme.

 

Pourquoi enseigner les mathématiques avec les TICE ?

Enjeux

Avant d’entrer dans le détail sur les conséquences que peut avoir l’utilisation des TICE au niveau pédagogique, il convient de rappeler très succinctement l’origine de ces technologies et leurs principaux enjeux. L’un des faits marquants de la seconde moitié du XXème siècle a été l’avènement des calculateurs électroniques. Ces derniers ont évolué dans deux directions: celle des supercalculateurs et celle des ordinateurs personnels. Les supercalculateurs ont révolutionné l’ensemble des sciences et techniques en offrant de nouvelles possibilités de calcul et de simulation. Les mathématiques n’ont pas fait exception: elles ont été profondément affectées par cette révolution (mathématiques appliquées, analyse numérique, logique, etc.), à tel point que l’informatique (contraction de « information » et « automatique ») et les mathématiques sont devenues deux sciences interdépendantes: l’une contribuant au développement de l’autre. De leur côté, les ordinateurs personnels occupent une place grandissante parmi les principaux supports d’information utilisés par le grand public (communication, support médiatique, traitement et archivage de données, etc.). Les influences sur notre société sont considérables, au point d’affecter le devenir socio-professionnel des individus. L’accès à un média libre et ouvert, la création de nouveaux types d’emploi, la destruction d’anciens métiers, la création d’une « net economy », l’évolution des « business models » de nombreuses entreprises, illustrent l’ampleur de cette influence sur la récente évolution des économies et des sociétés des pays occidentaux (pays pionniers dans le développement et l’utilisation des TICE). Dans ce contexte, il devient crucial d’initier nos élèves/futurs mathématiciens aux TICE. D’autre part, si nous nous limitons au point de vue strictement pédagogique, il est évident que les supports interactifs offrent de nouvelles possibilités pour dispenser les enseignements. C’est ce que nous allons voir ci-après avec l’exemple d’un logiciel spécialisé dans l’apprentissage des mathématiques.

Bénéfices (exemple sur la base d’un logiciel)

Afin d’offrir un aperçu des possibilités offertes par les TICE en matière de pédagogie des mathématiques, nous allons examiner l’exemple du logiciel Cabri-Géomètre. Cabri (pour « cahier de brouillon interactif ») est un logiciel développé depuis 1986 par une équipe de chercheurs de l’Université Joseph Fourier (UJF), du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et de Cabrilog. Ce produit est destiné à l’apprentissage de la géométrie. Selon Clarou et  Al, (2001) « Il s’agit d’un micro-monde qui permet la construction et l’exploration de dessins géométriques favorisant l’élaboration par l’élève de connaissances relatives aux objets mathématiques matérialisés par ces dessins ». Concrètement, le logiciel est une interface graphique qui permet de créer des dessins sur la base de propriétés géométriques. La force de l’utilisation de ce type d’outils pédagogiques est que l’élève se trouve contraint à employer les propriétés géométriques pour la réalisation de ses travaux. Cet environnement le prive de l’utilisation d’outils non mathématiques comme les carreaux du papier ou la perception personnelle. A titre d’exemple: le carré signifiera pour lui des droites perpendiculaires et des côtés égaux; c’est-à-dire le spatio-graphique commencera à devenir géométrique. Et pour dire qu’un objet géométrique est un carré, l’élève sera plus censé passer par des propriétés mathématiques et il commencera à prendre conscience que la perception seule ne suffit pas dans les mathématiques. En conséquence, l’utilisation de ce type de logiciel incite l’élève à faire un effort supplémentaire de conceptualisation des hypothèses pour pouvoir les exploiter et proposer une solution. Les objets mathématiques ainsi créés sont interactifs, donc manipulables. Cela permet à l’élève de faire des recherches afin de mettre en évidence des propriétés géométriques qu’il n’aurait pas remarquées lors de l’élaboration d’une figure (comme par exemple: la perpendicularité de diagonales sécantes en leurs milieux dans le cas du carré). De plus, des outils de vérification viennent en aide pour la découverte de l’ensemble des propriétés d’une figure. Enfin, le travail deréalisation est facilité par l’interface. Cette dernière, simple d’utilisation, permet de produire des tracés précis dans un minimum de temps.

Sur la base de cet exemple, on constate que l’utilisation de logiciels affecte notoirement l’approche pédagogique de l’enseignement des mathématiques. L’enseignement est davantage orienté sur la conceptualisation, la modélisation,l’interprétation des résultats et la maîtrise de la machine que sur des travaux calculatoires. Les TICE sont utilisées pour la construction d’algorithmes, la pratique de tests et l’analyse des résultats et des dysfonctionnements. Elles permettent autant d’approches nouvelles qui vont susciter la formation intellectuelle de nos élèves.

Par l’utilisation des TICE, nos élèves passent du statut d’assimilateurs de savoirs pré- structurés par un enseignant au statut de créateurs.

Conséquences des TICE

Cabri n’est qu’un exemple parmi les innombrables logiciels disponibles sur le marché. Les ouvertures pédagogiques apportées par l’outil informatique sont nombreuses et iront croissantes. L’offre étant sans cesse renouvelée, tant au niveau immatériel (avec des logiciels toujours plus complexes et aboutis) qu’au niveau matériel (avec des interfaces homme/machine toujours plus performantes), on pourrait alors penser que ces nouvelles opportunités pédagogiques sont potentiellement efficaces, simples d’utilisation et aux limites très lointaines. Or, s’arrêter à ces considérations serait faire l’impasse sur les nombreuses difficultés que peut générer l’implantation des TICE dans nos écoles. Ces difficultés sont de deux ordres: matériel et humain.

Impacts d’ordre matériel

Lorsque l’on pense à un projet d’implantation des TICE, la première contrainte de taille qui vient à l’esprit est celle du coût matériel. En effet, les TICE sont susceptibles de requérir de coûteuses installations pour lesquelles il faut prévoir un amortissement, de la maintenance, des mises à jour, des coûts de fonctionnement ainsi que des formations. Se pose donc la question de la légitimité de l’allocation d’importantes ressources pour une telle entreprise, alors qu’une proportion non négligeable de nos écoles est en manque d’équipement plus « rudimentaire ». A ce niveau, il ne s’agit plus de pédagogie: il faut trouver la solution qui permettra le meilleur retour sur investissement pour les générations futures, ce qui est du ressort des décideurs politiques.

Impacts d’ordre immatériel, évolutions de la profession d’enseignant induites par les TICE

La seconde contrainte majeure liée à l’implantation des TICE est davantage d’ordre relationnel et humain. Pour évaluer ce type de difficulté, il est nécessaire de passer par une description concise du processus d’enseignement et du rôle de l’enseignant.

Restreint au périmètre de la classe, l’enseignement traditionnel se résume en un échange de « savoir » entre « l’enseignant » et « les élèves ». Cette conceptualisation a conduit à schématiser l’enseignement par un triangle (appelé « triangle didactique ») dont les sommets sont occupés par chacune des trois composantes énoncées ci-avant. Les côtés sont utilisés pour qualifier les interactions entre ces trois composantes. On y retrouve notamment le processus essentiel de l’enseignement qui est le transfert des connaissances vers l’étudiant (relation entre le savoir et l’élève). Pour que ce transfert de connaissances soit efficace, l’enseignant interagit avec l’élève (processus pédagogique), mais également avec le savoir (processus didactique).

Pour comprendre l’importance de ces deux derniers processus dans l’enseignement, on peut imaginer la situation d’un enseignant qui n’aurait recours ni aux processus pédagogiques, ni aux processus didactiques. Dans ce nouveau modèle, l’enseignant, en prenant la parole pour présenter des connaissances et des concepts, occuperait le centre d’attention d’une classe qui suit. Se limiter à cette vision simplifiée reviendrait à comparer l’enseignant à un conférencier qui émet des informations à l’intention d’une audience qui les reçoit. La réalité est différente. Bien que l’exposé des connaissances constitue une partie essentielle de l’enseignement, le périmètre de la mission de l’enseignant dépasse le simple transfert d’informations. En effet, l’enseignant a l’autorité d’organiser les apprentissages, de distribuer des tâches et de juger/évaluer les démarches intellectuelles des élèves: ce sont les processus didactiques. Il a également la capacité de valoriser les talents de ses élèves et d’identifier leurs difficultés pour les aider à les surmonter. La conjugaison de ces facultés doit permettre à l’enseignant de faire progresser ses élèves dans la ou les disciplines dont il est responsable tout en veillant à ce qu’ils acquièrent le sens de leurs responsabilités (élaboration d’un projet professionnel, prise de conscience des devoirs envers la société,etc.):ce sont les processus pédagogiques. Enfin, l’enseignant doit pouvoir s’adapter à la diversité et au changement annuel de son audience. Ce simple descriptif de la fonction d’enseignant met en évidence la complexité de cette mission tant au niveau de la diversité des objectifs qu’au niveau de la relation enseignant enseignés. Il n’est donc pas surprenant que de laborieuses années soient nécessaires aux enseignants afin qu’ils parviennent à optimiser les nombreux paramètres de leur « équation pédagogique »

Au regard de la mission de l’enseignant commedécrite ci-avant, l’intégration des TICE dans l’enseignement peut être perçue comme ub béritable séisme. Avec les TICE, l’enseignant n’a plus nécessairement à prendre autant la parole, ni à concentrer l’attention de l’audience sur ce qu’il dit ou écrit au tableau. Mais, plus qu’à l’égard de la forme, c’est à l’égard de la perception de la relation enseignant-enseigné que le changement est abrupt. Car, pour les étudiants, l’enseignant n’est plus perçu comme l’interface principale entre lui et l’information à traiter, il n’est plus celui qui organise les tâches et les distribue et, surtout, il n’est plus celui qui juge directement si la démarche intellectuelle est adéquate ou non. Aux yeux de l’élève: l’enseignant passe du statut de « Maître » à celui «d’Accompagnateur ». Alors, doit-on en déduire que les TICE génèrent une dégradation de l’image de la profession d’enseignant ? Non, car l’enseignant conserve l’intégralité de ses responsabilités pédagogiques (en garantissant le progrès des élèves dans la ou les disciplines dont il a la charge), didactiques (en conservant une approche épistémologique au regard du contenu du cours et de l’utilisation des TICE) et sociales (en éduquant les élèves en vue de leur insertion socioprofessionnelle). En conséquence, les objectifs de sa mission restent inchangés. Par contre, la relation entre enseignant-élèves, les processus de transmission du savoir et les processus didactiques se trouvent profondément affectés par l’insertion des nouveaux médias interactifs que sont les TICE. Le schéma traditionnel du triangle didactique est suranné. Ce sont donc les méthodologies qui sont à redévelopper, les variables de « l’équation pédagogique » qui sont à réajuster… Ce qui correspond à un important travail d’adaptation de la part de l’enseignant.

Réaction des enseignants face aux TICE (expérience sur le terrain)

Sur la base de mon expérience en tant que formatrice, j’ai eu l’opportunité d’observer un large spectre de réactions de la part des enseignants  de mathématiques. Il est intéressant de constater qu’une large majorité des enseignants qui on suivi une formation en TICE s’est montrée enthousiaste devant les perspectives de modernisation de l’enseignement par les TICE. Cette catégorie d’enseignants est majoritairement restée lucide, car, bien que son intérêt pour la méthode fût prononcé, elle a reconnu les difficultés qui y étaient associées (une proportion significative doutant de la possibilité de mise en application de la méthode). La minorité restante a été indifférente, voire réfractaire. Parmi cette dernière catégorie, j’ai identifié trois principaux courants d’esprit : les sceptiques (qui doutent du réalisme des projets ou des nouvelles méthodes de travail), les opposants (qui sont contre ce type de projet pédagogique ou contre l’affectation de ressources à ce type de projet) et les anxieux (redoutant l’abandon des méthodes de travail éprouvées depuis parfois de nombreuses années, les charges supplémentaires de travail, ou craignant le manque de formation). La plupart de ces profils comportementaux trouvent leur origine dans l’importance du changement dont nous avons donné les grandes lignes ci-avant.

Préconisations

Parmi les enseignants, il apparaît de manière évidente que certains ont de bonnes prédispositions  à l’intégration de l’outil informatique dans leur métier. C’est le cas des jeunes et des futurs enseignants pour qui la maîtrise des bases des TICE est en général acquise. En conséquence, leur application à l’enseignement est généralement aisée. Il n’en va pas de même pour leurs confrères plus âgés. Face aux TICE, cette seconde catégorie d’enseignants se retrouve doublement pénalisée: premièrement, de par son manque de formation et, deuxièmement, de par la nouveauté de l’approche pédagogique en rupture avec les standards acquis avec l’expérience. En effet, si l’expérience est un atout pour l’efficacité de la transmission des savoirs et l’adaptation aux changements mineurs, elle peut se révéler être un frein dans les situations de changements majeurs. Mais quel que soit le niveau de maîtrise des TICE ou l’âge des enseignants, c’est leur motivation qui reste le facteur déterminant du succès ou de l’échec de leur évolution en terme de compétence sur ces nouveaux outils.

Face à l’importance du changement, certains enseignants, à juste titre, sont susceptibles d’avoir de fortes appréhensions, voire de générer des résistances au regard de l’intégration des TICE. Or, au niveau individuel, une bonne adaptation face au changement tient d’une part, et essentiellement, à la réalité de la situation, mais également à l’approche personnelle: la politique éducative dolt être cohérente avec les ressources et chaque enseignant doit être convaincu du bien-fondé de la démarche qu’il entreprend. Afin qu’un maximum d’enseignants soit motivé pour relever un tel défi, et pour que la mise en place des TICE soit un succès partagé par le plus grand nombre (les élèves en premier lieu), la stratégie à adopter est celle qui consiste à soutenir les enseignants dans le cadre d’un programme réaliste. Pour être efficace, ce soutien dolt être composé de formations techniques et pédagogiques. Sur le plan de la formation technique, un objectif raisonnable peut être fixé à «l’autonomie de l’enseignant»: niveau généralement rapidement atteint et suffisant pour que ce dernier se sente en confiance. Cette formation doit idéalement précéder la mise en situation. En revanche, sur le plan pédagogique (partie du changement la plus sensible à gérer pour les enseignants), une formation continue, de faible volume horaire, serait nécessaire pour gérer sereinement le bouleversement de la relation enseignant-enseigné. Le programme de cette formation serait essentiellement basé sur les techniques de communication et le retour sur expérience. Par ailleurs, il est possible de tirer parti de l’hétérogénéité de la population en accentuant l’effort de formation à court terme sur les enseignants en début de carrière. Cela permettrait l’obtention rapide de résultats encourageants. Une fois formés, ces derniers seraient les meilleurs promoteurs du changement et contribueraient certainement à l’amélioration des performances de leurs aînés sur le long terme. Mais, quelle que soit la politique d’enseignement retenue, la stratégie dolt être établie sur la base de l’intérêt des étudiants pour leur avenir.

Conclusion

Outre les nouvelles opportunités d’un point de vue pédagogique, les technologies de l’information et de la communication sont une révolution marquante aussi bien pour les sciences et techniques que pour la société en général. Pour ces raisons, l’introduction des TICE dans l’enseignement est pertinente. Nos élèves, futurs ingénieurs, futurs scientifiques ou plus généralement futurs membres de la population active, peuvent tirer profit de ces technologies et ne doivent pas être en marge de cette évolution. Cependant, la mise à disposition des TICE pour l’enseignement des mathématiques dans nos écoles est un projet dont la mise en place requiert d’importantes ressources. Il s’agit bien d’un choix dont la société doit être le décideur. D’autre part, l’implantation des TICE dans une organisation est une cause systématique de changements majeurs aussi bien entre les personnes (ordre social) que dans l’accomplissement des tâches (ordre professionnel). Ceci est vrai aussi bien pour l’école que pour n’importe quelles entreprises ou structures gouvernementales. Dans le cas des écoles, la complexité du changement se situe principalement au niveau du triplet enseignant, enseigné et savoir. Avec l’introduction des TICE dans la salle de classe, les représentations classiques des interactions entre les pôles de ce triplet ne sont plus valides. Par conséquent, les enseignants, quel que soit leur niveau de maîtrise des TICE, sont amenés à repenser leurs démarches pédagogiques et didactiques. Ce changement pour la profession est tel qu’il peut difficilement s’envisager sans une formation d’accompagnement.

Toutefois, ces difficultés sont surmontables. Le succès d’un tel projet serait de permettre à nos élèves d’apprendre les mathématiques par le biais d’une approche pédagogique qui privilégie la conceptualisation par rapport à l’approche calculatoire. Une bonne maîtrise de la machine facilite la réalisation de travaux et stimule la créativité. C’est en créant que l’on apprend !